Dépression ou déprime ? Le poids du handicap

handicap

Dépression : comprendre est-il possible ?

S’il est une maladie, parmi les plus handicapantes, qu’il est difficile de faire comprendre, c’est bien la dépression. Et la situation en la matière n’est pas près de s’améliorer. Car elle ne le peut pas, en raison même de la nature humaine.

Tentative d’explication.

La dépression, ou l’incapacité de vivre

Un jour, en 2003 ou 2004. Une époque durant laquelle je traverse un véritable trou noir, dû à la dépression qu’a occasionné la brutale apparition de mes acouphènes aigus, de mon hyperacousie sévère et des violentes douleurs permanentes qui les ont accompagnés.

Je raconte souvent une anecdote qui ne manque pas d’interpeler : je n’ai jusqu’alors rencontré aucune personne qui résidait en France durant l’été 2003 et qui ne s’était pas rendu compte de la canicule qui avait touché le pays. C’était mon cas. J’ai bien constaté à ce moment là une certaine élévation de la température qui mettait en émoi journaux télé et ménagères de moins de cinquante ans.

Rien de plus.

C’est vers cette période donc, probablement quelques mois plus tard, que je commence à recevoir à de nombreuses reprises des lettres de relance d’EDF, de France-Telecom et autres fournisseurs de factures. Puis des pénalités. Mon compte en banque, déjà assez peu garni, perd chaque jour un peu plus de matière. Mon banquier ne donne plus signe de vie.

Dépression ou déprime : un autre Monde

Ma sœur me téléphone un de ces jours où je reçois une pénalité de retard de la part de l’Etat. Dans la conversation, je lui relate cette énième lettre et lui indique que je n’ai aucun souvenir d’avoir reçu la facture originale ou un de ces enfants illégitimes qui vient désormais, à tous les carrefours de ma vie, me réclamer à manger. Je me doute que ces lettres m’ont bien été envoyées. Je me doute qu’il est fort improbable qu’aucune d’entre elles ne me soit jamais parvenue.

J’explique alors à ma sœur que je ne parviens pas à répondre aux simples courriers administratifs qui échouent dans ma boîte aux lettres (je n’aurais jamais cru que celle-ci pouvait en avaler autant !) et que c’est visiblement dû à ma dépression. Elle me répond que quand elle-même était mal – elle avait traversé une période difficile, quelques années plus tôt, période de profonde déprime et même de dépression, selon elle –, elle « faisait justement très attention à être irréprochable sur ce genre de choses parce qu’elle se savait fragile ». « Mais je n’y arrive pas ». Visiblement surprise… et agacée, elle réplique : « je ne vois vraiment pas ce qu’il y a de difficile à faire : tu reçois la lettre, tu l’ouvres, tu signes le prélèvement, tu le mets dans l’enveloppe fournie et tu postes le tout. ».

A vrai dire, raconté de la sorte, je ne vois vraiment pas non plus ce qu’il y a de difficile dans tout ça. Pourtant, je n’y arrivais pas.

La dépression est une altération du Moi

C’est bien là toute la difficulté à faire comprendre à autrui ce qu’est la dépression. L’être humain est persuadé qu’un des points qui le différencient de l’animal est sa fameuse « conscience réflexive » qui habille dissertations de sous-philo et soirées Cadremploi. L’être humain aurait conscience de sa condition, de sa relativité, de sa finitude. L’être humain serait capable de se projeter dans le temps et dans l’espace. De se mettre à la place de son prochain. Et les voyages forment la jeunesse.

Foutaises.

Un troupeau d’hippopotames baveux adopte face à la maladie la même attitude que le fier hominidé que nous sommes – ou prétendons être. L’individu affaibli se voit au mieux rejeté, au pire écrasé par ses congénères. Et l’être humain de s’extasier face au grandiose spectacle du règne animal : c’est “la dure loi de la Nature” et, si celle-ci peut être perçue comme cruelle, elle n’en est pas moins “magnifique”. Fort heureusement, l’Homme n’est pas comme ça. Il est seul capable de venir en aide à plus faible que lui et de soutenir, dans un élan désintéressé, celui qui en a besoin.

Comment l’Homme serait-il capable d’un tel prodige ? Parce qu’il sait qu’un tel accès de faiblesse, sans même parler de déprime ou de dépression, peut également lui arriver, à un moment de son existence. Et qu’on ne fait pas à autrui ce qu’on ne voudrait pas blablabla. Parce qu’il sait qu’il n’y a pas nécessairement, dans l’attitude de ce mammifère qui agonise à l’écart de la meute, une volonté de se soustraire aux tâches ménagères. Parce que, enfin (et surtout ?), ne pas aider celui qui tend la main, c’est Mal.

Foutaises, disais-je.

Qui parmi nous est-il prêt à donner à quelqu’un qui ne connaît pas et qui réclame un peu d’aide ? Je ne me poserai certainement pas en donneur de leçon car, pas plus que vous, je ne donne deux ou trois sous aux nécessiteux du quartier.

Mais surtout, quid de celui qui ne tend pas la main ? De celui qui n’en a plus la force ? De celui qui survit dans une telle détresse qu’il n’a plus ni vision claire de son état ni souvenir de ce qu’il a pu être « avant ». Plus d’élan, plus d’envie, plus d’avis. Plus aucune capacité de se projeter. Pas la déprime, non. La terrible maladie qu’est la dépression.

Dépression : le handicap est en nous

Aujourd’hui encore, je constate chaque jour l’impossibilité viscérale pour l’être humain de comprendre ce qu’il est. Et, par extension, de comprendre la dépression.

En ce sens, une société d’extrême gauche n’est pas l’utopie que l’on veut bien nous vendre sur Canal+ et au Bar de La Poste : comme l’ont montré la totalité des endroits, sur notre petite planète, où ses avatars ont pu éclore, sa résultante serait, nécessairement, immanquablement, à plus ou moins brève échéance, une violence extrême et étatisée.

C’est d’ailleurs un des rares bienfaits que je concède à l’existence des religions : celle de nous faire croire à une volonté supérieure qui nous aurait créés dans un but donné, seuls, au milieu d’espèces imbécile, dans un Univers empli de vide.

Et, partant, de nous inculquer le caractère sacré de chacun de nous.

Une philosophie de vie. Rien de plus en vérité qu’un sursis pour la bête blessée.

L’Homme dévoré par la dépression peut ainsi longtemps vivre sa maladie.

(crédit photo : dépression masculine, fait divers)

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Réponses

  1. Cet article est vraiment bien écrit et authentique.

    Je me rends compte que mes petites déprimes passagères, durant lesquelles je perd tout courage et toute estime de moi, sont ridicules comprarée à la vraie dépression.

    Est-ce qu’il y a un moyen d’anticiper une dépression?
    La musique, le dialogue ou la luminothérapie sont-ils des moyens efficaces pour lutter contre elle ?

  2. Ton témoignage est poignant j’espère qu’il pourra aider des gens dans des situation similaires.
    Pour ma part comme la personne ci dessus, il m’aide déjà à outrepasser les petites déprime quotidiennes..

  3. Il y a, dans ce que tu as écrit, quelque chose de malsain pour celui qui n’a jamais ressenti ce mal être, qui au plus profond de soi dévore l’énergie quotidienne et empêche d’aller de l’avant.

    Ceci dit, es tu aidé ? Je te le souhaite !

    Big pensée !

    @audioprothese

  4. C’est terrible car en plus les gens n’aiment pas les gens qui vont pas bien, ça ne fait qu’accentuer le pb. Mais d’un autre côté, pour être passé par la, ça nous fait réellement voir quand on s’en sort, tout d’un coup les gens semble mieux avec nous et tout vas mieux…

  5. La dépression n’est pas un handicap, c’est une maladie en tant que telle. En effet, une personne handicapée physique, par exemple, n’est pas en majorité une personne malade. Simplement, la société n’a pas pris suffisamment en compte sa déficience (inaccessibilité des lieux, manque d’intégration…) et c’est en cela principalement qu’elle est handicapée. En un mot, c’est la société qui, en la considérant hors norme, a créé son handicap social.
    Le combat à mener pour vivre normalement est autrement plus difficile qu’avoir des bourdonnements d’oreilles ou une dépression. On ne fera pas remarcher une personne tétraplégique alors qu’une dépression se guérit fort bien dans la majorité des cas.
    Non que je veuille minimiser la souffrance psychologique du dépressif ou la difficulté à vivre avec des acouphènes, mais mettez-vous une heure dans un fauteuil roulant et circulez en ville, je suis certain que votre dépression ou vos bourdonnements d’oreilles vous sembleront bien moins “handicapants”! Je vous conseille le site http://www.handicapchallenge.fr et bon courage pour surmonter la déprime et les coups de blues!

    1. Vous commettez une erreur de raisonnement classique, mais importante. Vous oubliez qu’un handicap peut être temporaire. A ce titre, la dépression est un handicap. C’est même le deuxième handicap au niveau mondial, selon l’OMS (j’avais lu cette info il y a quelques années mais en faisant une petite recherche sur Google vous devriez en trouver la trace).

      Pour bien des choses, une personne en dépression lourde est plus handicapée qu’une à laquelle il manque un bras. Ça vous choque peut-être, mais ce n’est pas ça qui vous donne raison. Et le fait qu’il est plus facile a priori de guérir la dépression que de réparer un bras n’y change rien.

      Vous dites : “c’est la société qui, en la considérant hors norme, a créé son handicap social.” . Ces propos sont du gloubiboulga bien-pensant, de la soupe vaguement intellectualisée. Allez expliquer à un cul-de-jatte que s’il vivait dans une autre société il n’aurait aucun handicap. A un moment, il faut arrêter avec le déterminisme social. Il y avait certes, dans l’ancien temps, un déterminisme biologique complètement idiot, mais ce nouveau déterminisme est aussi stupide. Admettons que la vérité n’est pas ailleurs, mais quelque part au milieu.

      Vous terminez en ramenant la dépression à une question de déprime et de coup de blues ce qui, s’il en était encore besoin, finit de décridibiliser totalement votre propos. A se demander pourquoi j’ai pris la peine d’écrire le billet ci-dessus. Vous êtes la preuve vivante de l’impossibilité pour l’individu lambda de comprendre la dépression. En 2005 / 2006, j’ai passé un an (une année, 12 mois, 52 semaines, 365 jours, … en réalité un peu plus mais peu importe) allongé à regarder le plafond, sans pouvoir respirer. Non, je ne me prenais pas une année sabbatique. J’étais simplement terrassé par la dépression. Et vous venez me parler de coup de blues…

      Entre la déprime et la dépression, il n’y a pas une différence d’intensité : il y a une différence de nature. Il ne me viendrait pas à l’idée de comparer une piqûre de moustique à un cancer de la peau.

      Tant que vous ne comprendrez pas ça, on ne pourra pas se comprendre.

      Pour terminer, je ne fais pas de comparaison entre les maladies et/ou les handicaps. Et oui, j’espère guérir un jour et rien que pour ça je n’échangerais jamais mon handicap contre un autre ! Simplement, autant il ne fera aucun doute pour tout le monde qu’une personne en fauteuil roulant est handicapée, autant une personne qui souffre par exemple de dépression lourde depuis 30 ans sera considérée comme quelqu’un de faible, mou, etc. Vos propos ne font que confirmer mon constat.

  6. Je vous laisse vos commentaires sur la notion de handicap. Après tout, si vous avez envie de rejoindre la communauté des personnes en situation de handicap, c’est à dire celle qui est la plus discriminée avec les personnes issues de l’immigration, c’est votre problème mais ne comptez pas sur les finances des organismes sociaux pour vous y aider. Ils ont déjà fort à faire avec celles et ceux qui ont un handicap reconnu et qui bénéficient de ce fait des prestations Adultes handicapées qui, comme vous le savez sans doute, sont très inférieures au SMIC! En un mot le statut de “handicapé” que vous semblez tant réclamer, n’est en aucun cas un chemin pour une personne dépressive mais plutôt pour une personne qui malgré l’adversité de la vie fait front en s’intégrant le plus possible dans la société et en ayant à coeur de ne pas devenir tributaire d’elle.

  7. J’ai décidé d’intervenir dans le débat. Moresi, vous êtes à coté de la plaque. La dépression est certes une maladie mais c’est également un handicap psychique, cognitif, social et même physique dans les formes les plus poussées. La dépression est une voiture sans carburant, puis sans volant, puis sans porte, ni siège, un tombeau à ciel ouvert qui dévale lentement une route invisible.
    Oui poster une lettre est d’une complexité redoutable quand on est dépressif, comme aller chercher du pain, se lever, se laver, communiquer. Toutes les fonctions tournent aux ralenti, mais pas le ralenti d’un ado capricieux qui boude sa représentation du monde, un putin de ralenti morne, anxieux et incompréhensible.
    Le dépressif est coupé de son physique, la relation corps-esprit est chaotique et insidieuse. Personne ne voit rien et tous les dépressifs glissent. De tous les symboles actuels de réussite sociale véhiculés par l’ hypocrite société française, la dépression en serait l’antithèse la plus amer. On ne parle pas des déprimes qui font bien sur le cv des acteurs ou des pseudo chanteurs déchirés par la vie. La dépression ça vous prends aux tripes et ça les avalent, plus de relation sexuelles, car ça avalent aussi les couilles (et ouai), plus d’estime de soi, plus aucune confiance en le lendemain, ça vous prend tout et ça vous laisse rien, déshydrater de toute substance psychique.
    Les dépressions, car les formes varient, sont des handicaps terribles de douleur et de méprise sur soi même et le monde qui nous entoure. mais le pire, c’est qu’il n’y a personne pour vous tenir la porte, vous laisser passer, vous attendre, et surtout vous entendre sans jugement préconçues de ce que devrait être la valeur des choses dans une société saine et équilibré.
    Chaque année la dépression enlèvent des gens, laissant des morts ou des fantômes, des familles découpé par un suicide parfois inéluctable. La dépression ça handicape pas seulement le dépressif, mais les proches aussi.
    Les dépressifs sévères devraient passer au téléthon. ce sont les handicapés non reconnus de l’État.
    Pour Oreille malade, effectivement il n’y a pas de magiciens, mais parfois on a aussi oublié que la magie existe, courage à vous, et sachez qu’ aujourd’hui j’ai répondu, mais qu’également beaucoup de gens pensant comme vous mais ne l’ont surement pas fait pour toutes sortes de raison. Tout ça pour vous dire que vous êtes compris, peut être pas publiquement, mais surement. Je vous ai compris.