Comprends qui peut

la même chose

“Je comprends ce que tu vis.”

Combien de fois n’ai-je entendu ces mots ? « Je comprends ». Et ses multiples déclinaisons. « Je te comprends ». « Je vous comprends, Monsieur ». « Je me rends parfaitement compte de ce que cela doit être. » « Moi aussi j’ai ce que tu as ! » « Mon mari a la même chose que vous. » etc.

A une ex-collègue qui me questionnait sur mes symptômes, je décidais de prêter un témoignage sur l’acouphène et l’hyperacousie (le bien nommé « Tortured by sound »).
Lorsque je lui ai tendu l’ouvrage, elle s’est d’abord esclaffée devant la couverture « tellement américaine » puis m’a asséné un « je n’ai pas besoin de lire un livre pour comprendre ce que tu vis ».

Définitif.

C’est dans ces moments là que l’on réalise s’être fabriqué une image déformée des gens qui nous entourent. C’est dans ces moments là que l’on réalise surtout que l’acouphène (ne parlons pas de l’hyperacousie, encore plus absconse) est un sujet tellement méconnu que l’on retombe invariablement dans une logique binaire : le monde se divise en deux catégories, mon ami. Ceux qui ont des acouphènes et ceux qui n’en ont pas.

Un autre ancien collègue, qui souffre lui-même d’acouphènes et qui s’étonnait de me voir ainsi sombrer, m’avait ouvert les yeux – j’aurais préféré qu’il se soit agit des oreilles. « Au début j’étais comme toi » me dit-il, « puis au bout de quelques semaines, un mois, peut-être deux, j’ai arrêté d’y penser et c’est passé tout seul. » Suis-je vraiment si stupide ? Mais bien sûr, la solution est là ! Si on n’y pense plus, cela ne nous gêne plus, donc on ne les entend plus. CQFD. La prochaine fois que je croise un ou une casse-burnes qui a la phobie des souris, je lui expliquerai calmement que les souris c’est très gentil, et qu’elle doit oublier sa phobie. Idem pour ces hordes de gens qui se prétendent dépendants de la cigarette : tout ça c’est dans la tête, mes enfants, ne pensez plus à la cigarette et la cigarette vous oubliera. C’est pourtant simple. Alors le paralytique se lèvera (Marc 2:1-12) et chacun rentrera chez soi le sourire aux lèvres.

Un ophtalmo encore, que je n’avais pas vu depuis plus d’un an, me demande en début de semaine, ses fiches sous les yeux, si ma situation s’est améliorée. Bien entendu cela partait d’un bon sentiment, aussi ai-je répondu avec une grande honnêteté, tout en soulignant les aspects positifs, les subtiles améliorations dont j’ai pu bénéficier en 2006. « J’imagine… Cela doit être dur d’entendre siffler au moment de s’endormir… » Je lui ai alors répondu que dans sa salle d’attente, fenêtre ouverte sur cours avec jeunes vociférant autour d’une baballe plus grosse qu’une pastèque, je n’entendais que ça. Ce sifflement. Et pourtant, on ne pouvait pas franchement considérer que la pièce était plongée dans le silence. Et pourtant, ce sifflement, je l’ai connu en d’autres temps bien plus violent.

Interloqué il fut.

Certains ORL vont jusqu’à dire que des personnes comme moi affabulons. Qu’il n’est pas possible d’entendre des sifflements d’une telle intensité, car ils ne dépassent guère 5, 10dB, grand maximum 15dB (en gardant à l’esprit qu’une pièce où règne un son d’environ 20dB est considérée comme très silencieuse). Nous sommes donc des millions sur cette planète à affabuler. Alors que nous préférerions, j’en suis certain, coincer la bulle. Au lieu de cela, nous stridulons et tintinnabulons.

Dialogue de sourds.

Tant que le monde des ORL n’aura pas appris à écouter – car « entendre », ça, ils savent très bien le faire, c’est même ce qu’ils font le mieux – les patients qui se bousculent, toujours plus nombreux, pour décrire l’horreur que peuvent être ces parasites, aucune avancée décisive ne sera possible. Tant que le monde des ORL n’aura pas compris que les postulats, en médecine comme ailleurs, ont une utilité évidente dans le cadre d’une réflexion mais ne doivent en aucun cas devenir un carcan, aucun soulagement réel de ceux qui souffrent le plus n’est à espérer.

Je vous parlerai une autre fois du Triomphe de la Volonté, un très joli film allemand des années 30. Mais pour l’heure, je vais plutôt dîner et prendre mes médicaments. Tiens, en voilà au moins qui s’en tiennent à ce qu’ils savent faire de mieux : se taire.

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Réponses

  1. Oh la la ! Comme tu as raison ! Ces situations je les ai toutes vécues ! Les gens qui croient que c’est juste quand on s’endort, d’autres qui te demandent “Et tu les entends, là ?” (ben non, idiot, ça ait un an que je raconte des conneries…), d’autres (je les hais) qui affirment qu’il suffit de ne pas y penser, et, toujours comme toi, même les ORL qui te disent que c’est “psychologique”. Aujourd’hui j’ai une crise très violente, j’ai le moral à zéro… seul ton article a su me faire sourire !

  2. Superbe article !!

    Tu sais nos oreilles ça me fait penser un peu à des vieilles voitures ??
    Elle font à peu près toutes le même boucan à 120 km/h mais y’en a certaines qui font beaucoup beaucoup plus de bruit que les autres au ralenti !!

    Nos ORLs devraient enfin admettre que c’est pareil pour nos esgourdes !!
    Courage brother

  3. Ce texte reflète exactement l’enfer des acouphènes. J’en ai rencontré, des gens qui me disaient : ” moi aussi tu sais, mais je n’y pense plus, et je ne les entends plus”, “mon mari en a, il les vit très bien”. J’ai d’abord eu des acs en 1997 qui étaient relativement légers, audibles seulement dans le silence complet (principalement au lit). Depuis 2 ans, ils sont à un niveau qui n’a rien à voir, je les entends tout le temps (en regardant la télé, sur autoroute avec radio allumée, sur un télésiège à ski, dans la rue, dans les hypermarchés,…). Mais malheureusement personne ne peut/veut comprendre qu’il existe bien différents acouphènes.

  4. Oui, oui, c’est ça : ils disent tous que c’est dans la tête… et on voudrait avoir un micro magique pour leur enfoncer dans l’oreille !
    Souvent je les fais venir sur le site france acouphènes dans la rubrique “entendre des acouphènes” et après je module le son : “tu vois, selon les jours, c’est comme ça ou comme ça… comment, c’est insupportable ? ben c’est ce que j’entends tous les jours et toutes les nuits… tu vois, faut juste penser à autre chose” ! Merci Acouphaine, il était vraiment super cet article !

  5. Il faut la vivre au présent, cette agression sonore que provoque l’hyperacousie. Chaque instant est une souffrance. Le moteur du frigo, le ventilateur du PC, le craquement des poutres en bois, les talons sur le sol carrelé, quand on mâche la nourriture, quand … enfin, toujours comme si l’on carressait un coup de soleil avec du papier à poncer gros grain.

    J’ai vécu ça – j’aurais vendu père et mère pour que ça cesse.

    Je vais mieux, je ne suis plus hyperacousique sévère, et on a tendance à oublier le calvaire qu’on a vécu.

    Personne peut comprendre, au moins être passé par la, ou mieux encore, de le vivre au présent.

  6. “Je comprends ce que tu vis”…

    Et bien non je ne le comprends pas… Et pour être honnête je ne souhaite pas le comprendre car comme tu l’écris si bien, mon cher LM, pour le comprendre il faut, au pire le vivre, au mieux l’avoir vécu, tu comprendras, toi, en revanche, qu’entre les 2 mon coeur ne balance pas.

    Félicitation pour ton blog, je crois qu’effectivement tu t’es définitivement trompé de métier, tu n’avais vraissemblablement rien à faire dans “l’open space” dans lequel nous nous sommes rencontrés… D’ailleurs moi non plus 😉

    Bonne continuation mon vieux, et bon courage… (Allez encore 1 qui fait mine de comprendre 😉

  7. moi je suis plutot surpris par le nombre de gens qui “ne comprennent pas”. ils ne savent meme pas de quoi je parle. je trouve ca d’autant plus terrible qu peut etre un jour eux auront des acs voir de l’hyperacousie et que seulement a ce moment la ils diront maintenant je comprends.
    meme moi qui fait de la prevention sur l’exposition au bruit, les gens ne comprennent pas pourquoi.
    gardons espoir et continuons notre combat, si les chiffres sont corects, dans 20 ans des millions de personnes seront oblige malgres eux de comprendre.