18 jours plus tard

zombie
29 mai 2003
Mathieu commence à réaliser que ce que je vis est un peu plus qu’un rhume ou une méchante grippe. Que c’est autre chose.
Et que dans le meilleur des cas, cela peut changer irrémédiablement ma vie.
J’ai gardé en moi ces fréquentes pulsions de mort, seule issue apparente à la violence de mes souffrances et il est évident qu’il ne peut comprendre tout à fait ce dont il est question. Que faire alors lorsque l’on habite en plein Paris, qu’un ami va (très) mal et que discuter semble n’apporter aucune aide ? Réponse : on essaie de lui changer les idées, et la façon la plus immédiate d’y parvenir reste encore une bonne vieille séance de cinéma. S’il est vrai que je ne fréquente pas aussi assidûment que lui les salles obscures – en particulier depuis qu’il a égorgé son cochon-tirelire pour s’affubler d’une carte UGC illimitée –, le cinéma reste un de mes grands plaisirs. En particulier le cinéma “snob”, celui que la plupart des gens trouve chiant comme la mort, le style filme serbe avec deux phrases toutes les dix minutes.J’aime l’atmosphère, la tension palpable, le non-dit. Le ressenti.

J’aime le silence.

Mais l’heure n’est pas à ce genre d’œuvres que mon cher papa qualifierait au mieux de pseudo-intello : c’est donc sur le dernier Danny Boyle, 28 jours plus tard, que s’arrête notre choix. Direction le MK2 situé à deux pas de mon domicile – vous savez, celui avec les sièges pour amoureux, “elle est pas belle la vie” etc.

Sitôt entré dans la salle c’est un déferlement de sifflements qui me saute à la gorge. Sans commune mesure avec ce que j’ai pu entendre lors de la projection de Dolls, quelques jours plus tôt. Autant comparer le Manneken-pis et les chutes du Niagara. Au fond cela n’a rien d’étonnant : je sais bien que mes sifflements ont pris des proportions démentielles depuis peu. Je tente de ne pas céder à la panique, ne serait-ce que parce plusieurs personnes se trouvent dans la salle… et que je ne voudrais pas qu’elles me croient fou.

Une certaine fierté… Tout ce qu’il me reste.

Mathieu a tenu à me rassurer avant la séance, m’indiquant que si je ne me sentais pas de rester il ne fallait surtout pas hésiter à quitter les lieux.

Mais je ne partirai pas. Ce serait ridicule. Ce serait un constat d’échec.

Et je veux savoir quelle sorte de monstre je suis devenu.

Bientôt c’est le début du film et soudain, comme dirait un mauvais PPDA fraîchement nommé ou à la veille de son départ, c’est le drame : une explosion déchire la salle et mes tympans… J’ai tout juste le temps de plaquer mes mains sur les oreilles devant le choc, ce qui m’amène à amplifier encore la violence des sifflements qui me dévorent le crâne.

Je suis pris au piège. Si je décide de partir, il me faudra le faire dans cette posture. Que va-t-on alors penser de moi ? Que je suis bon pour l’asile ? Je suis peut-être fichu mais si le monde est peuplé de fous je n’en fais assurément pas partie.

Je reste donc assis durant une heure et demi, la plupart du temps les mains sur les oreilles, les enlevant à l’occasion pour laisser s’échapper un peu de cette vapeur qui me consume le cerveau, tout en tentant d’anticiper chaque bruit qui peut surgir au prochain bout de pellicule.

Que doit penser cet inconnu assis à ma droite à me voir ainsi me tortiller, terrifié, sur mon siège ? Et pourquoi n’ai-je pas emmené de bouchons d’oreilles ? Je sentais bien pourtant que tout son, si anodin soit-il, agressait horriblement mes oreilles endommagées. Oui mais voilà : pas une fois je n’avais ressenti le son du cinéma comme présentant un volume trop élevé ! C’était un peu comme regarder la télé : pourquoi donc aurais-je emmené des protections ?

Et puis, le dernier ORL que j’avais consulté ne m’avait-il pas assuré que je pouvais fréquenter les salles obscures sans aucun problème ?

Les convulsions secouent mon corps durant toute la séance. Humain peut-être mais moins humain que les « Contaminés » de Danny Boyle qui ont dégueulé par vagues devant mes oreilles horrifiées !

La film s’achève. La violence du son n’a pas diminué d’un iota. Mathieu me précède, moi l’handicapé auditif aux mains en coquilles, qui souhaite coûte que coûte conserver mes sifflements bien au chaud dans leur prison cervicale.

A-t-il remarqué ma chorégraphie insensée ? Etonnamment, cela m’importe! Je préfèrerais qu’il n’ait rien vu. Inutile qu’il sache à quel point je souffre. Il en sait déjà beaucoup.

Il en sait déjà trop.

« Quelle vie je me prépare, Mathieu ? ».

Il tente de me réconforter, mais comment pourrait-il y parvenir ? Moi-même je ne comprends rien de ce qui m’arrive, comment le pourrait-il ?

(“18 jours plus tard”, car c’est le 11 mai 2003 que mes symptômes se sont brutalement aggravés…)

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