Enamourée enmurée

silence chut lèvres

Les semaines passent.
Je répète les mots les uns après les autres, j’articule, je recommence mes phrases lentement. Elle ne saisit pas. Je reprends à zéro. Trois mots, maximum. Au-delà, elle déconnecte. Sujet, verbe, complément, Maman se concentre, je reprends, je l’encourage, elle me sourit, un baiser. Elle est avec moi, elle me suit, je l’intéresse. Trois mots, trois mains tendues, trois espoirs, elle fixe le mouvement de mes lèvres, ma voix sans décibel… Voilà, elle entend.

Les semaines passent.
Maman travaille encore. Elle me manque. Je monte l’embrasser.
Elle n’a pas l’air malade. Juste un peu empâtée.
Elle ne m’a pas vue, je repars.

Les semaines passent.
Je suis une vraie garce. Je parle vite et mal. Dès qu’elle est de dos, je l’insulte. Je me marre. Elle est perdue, peinée, aux aguets. Je l’embrouille, je l’humilie, je me régale. C’est moi l’enfant, j’ai tous les droits. Si elle n’est pas contente, elle n’a qu’à changer de filles et d’oreilles.
J’ai envie qu’on me plaigne, qu’on me gronde, qu’on me remarque.

Les semaines passent.
Maman se lève toutes les nuits. Je l’entends ouvrir le frigo et les placards. Je la rejoins. Elle sursaute, repart les poches et la bouche pleines.

Les semaines passent.
Maman refuse d’apprendre le langage des signes. Elle préfère lire sur les lèvres. Maman refuse de dire qu’elle est sourde. Elle préfère passer pour une impolie, ou une étrangère. Maman refuse de rejoindre une association, elle a déchiré le bulletin d’adhésion rapporté par Bernard. Maman refuse de rencontrer d’autres malentendants. Maman fait semblant, c’est pratique pour nous aussi.

Les semaines passent.
Maman jette ses habits d’autrefois. Ils ne sont plus à sa taille. Elle se fait une nouvelle garde-robe. Des tuniques larges, des bas de survêtements XXL. Maman s’enferme à double tour dans la salle de bains. Je regarde par le trou de la serrure. Elle n’a pas allumé.

Les semaines passent.
On débranche a télé, on vend les disques, on cache la radio. La maladie de maman fait la loi, elle exige le silence. Je garde mon Walkman sous le matelas. Si elle le trouve, j’aurai la honte de ma vie.

Géraldine Maillet, Acouphènes

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