Mon âme pour 2min35 de bonheur
Jeudi 15 mai 2003
Que je les maudis de m’avoir à tout jamais privé de ces quelques plaisirs si simples ! Si seulement je pouvais négocier avec Satan quelques heures, quelques minutes de répit, de temps à autre. Ô, pas tous les jours, ni même à heure fixe. Si seulement… Je ne vivrais plus que dans l’attente de ces bonheurs fébriles. Un court instant, de ci de là, histoire de recharger mes batteries avant de replonger dans l’horreur.
Est-ce trop demander ?
Finies les soirées à rêvasser, la bouche ouverte et le cœur léger, sur les maigres instants savoureux de mes quotidiens ! Comment rêvasser lorsqu’on ne peut se soustraire à ses bruits intérieurs ?
Finies les grasses matinées ! Comment prendre du plaisir à traîner au lit lorsqu’un violent sifflement vous vrille l’intérieur du crâne sans relâche, et que le seul espoir d’y échapper un tant soit peu reste encore de s’immerger dans le chaos du monde extérieur ?
C’est sans doute la raison pour laquelle je me lève bien tôt ce matin là. Comme si rien ne s’était passé et que tout était normal. Et de fait, tout est normal : France Info informe ses auditeurs que la grève, bien loin de se tarir, vient de se durcir un peu plus. Qu’importe : la ligne 10 fonctionne, si l’on en croit les prévisions de trafic.
Je me dirige donc, ou plutôt me laisse diriger par la contrainte et l’habitude. RER C. Ligne 10. La nervosité du Parisien est d’un ridicule dérisoire, mais tout cela ne m’atteint pas. Ce que je n’avais pas prévu, c’était de passer trois quarts d’heure sur le quai du métro, très « silencieux » ce matin – bon nombre d’habitants de la capitale ayant prudemment esquivé le métropolitain. Pour finalement me faire gentiment pousser vers la sortie au son de « les grévistes ont arrêté le dernier conducteur qui souhaitait travailler, cela devient violent, inutile de patienter ici. »
Merveilleuse démocratie.
D’une certaine façon je suis soulagé. Une fois encore je suis dispensé de comédie. Une épreuve en moins dans un marathon de souffrance.
J’informe donc Sandrine et Sandra, qui travaillent avec moi, de mon absence, puis me retrouve dans mon appartement. Toujours aussi silencieux. Près d’une heure plus tard.
Au moins ai-je pu rentrer chez moi.
Dans l’intervalle, Sandra m’a envoyé un mail. Elle s’inquiète de ma progression dans le dernier Zelda sur Nintendo Gamecube… Malgré moi, je souris. Le pouvoir de l’habitude. Sandra exsude une fraîcheur qui rendrait le sourire à un tétraplégique – si tant est que celui-ci n’ait pas perdu toute capacité physique à étirer ses zygomatiques.
Par conséquent, pourquoi cela n’aurait-il pas fonctionné sur moi ?
(expérience n°397, tentée par Les Céréales du Dimanche Matin)
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