Mickael Jackson tue internet – ou le sacre du web par le roi de la pop

Mort de la presse à cause d'internet ?

Quel avenir pour les journalistes, la presse, le traitement de l’information ? Quelle place pour internet dans ces profondes mutations de l’univers des communications ?

La mort de Mickael Jackson a brutalement mis en évidence divers points sur ces sujets, qui sont à l’origine de débats et réflexions passionnants depuis plusieurs années déjà.

J’ai pu lire aujourd’hui avec un plaisir non dissimulé un excellent papier sur le sujet sur Chouingmedia :

Le jour où internet s’est arrêté [lien supprimé car le contenu n’est plus disponible]

Papier qui m’a donné envie de prendre la plume – ou plutôt le clavier, bien entendu – car toute la problématique est là : la valeur ajoutée, la profondeur d’information.

Si les média “traditionnels” s’obstinent à lutter contre le web et le mobile sur le terrain de la rapidité d’information, ils finiront de creuser leur tombe. Ceux qui survivront ne le feront qu’au prix de mutations profondes, seuls capables de leur permettre de retrouver la place qui leur incombe plus que jamais dans la chaîne de l’information.

La VERTICALITE doit redevenir le cheval de bataille de ces chevaliers des temps anciens qui sont descendus de leur monture, persuadés qu’ils étaient qu’ils pouvaient, grâce à leur immense expérience, notoriété et carnet d’adresse, battre à la course tout outrecuidant qui oserait les provoquer, fusse de manière indirecte. Ils ont ainsi adopté le culte de l‘HORIZONTALITE, de la course au scoop – rappelons qu’ils en étaient les rois il y a bien peu de temps encore à l’échelle humaine… une éternité à l’échelle du réseau des réseaux et de notre monde moderne.

J’avais déjà constaté et appelé de mes vœux ces changements inévitables – et souhaitables – dans un papier écrit fin novembre 2005, lorsque les banlieues françaises avaient fait passer la France aux yeux du monde pour une annexe de Bagdad ou de Kaboul :

Pour une re hiérarchisation de la Pensée

L’épisode que la France vient de connaître dans la majeure partie de ses grandes villes a donné lieu naturellement à un grand nombre de débats et autres prises de parole. La France a eu peur et s’interroge fébrilement sur les raisons profondes d’une telle poussée de fièvre, ne serait-ce qu’afin d’en éviter une plus brutale encore. Force est de constater que ce sont toujours les mêmes explications qui sont dépoussiérées, en vrac : chômage omniprésent, discrimination généralisée, ghettoïsation, précarité, délinquance quotidienne, démission de l’Etat et des parents, absence de considération envers les préoccupations des jeunes, …

Pourtant, si l’on s’accorde le temps, ne serait-ce que quelques minutes, de prendre du recul par rapport aux troubles que le pays vient de connaître et plus généralement à la situation actuelle de la France, on ne peut que s’étonner : par quel prodige la France serait-elle devenue en l’espace de quelques années un concentré de tous ces maux dont on l’accable ?

Si l’on en croit certains nous vivons actuellement la période la plus sombre de l’Histoire de l’Humanité (la France s’en sortant selon les avis de chacun légèrement mieux que le reste du Monde, en parvenant à opposer une certaine résistance à la vague destructrice qui le dévaste, ou particulièrement mal, en jetant ses enfants dans le gouffre de la barbarie économique) : accroissement des inégalités, appauvrissement culturel sous la pression de l’argent, montée des discriminations, poussée mondialiste visant à gommer toute pluralité, déshumanisation totale de l’économie, destruction des ressources naturelles, exploitation des enfants, guerres impérialistes, terrorisme parfois perçu comme une résistance légitime face à l’exploiteur occidental, la liste est longue.

Il est évident que le « c’était mieux avant » que l’on trouve en filigrane derrière ce type de discours est aussi vieux que le Monde. La nouveauté est qu’il est relayé, nourri, alimenté par une large part des élites intellectuelles de nos pays occidentaux, faisant ainsi d’un travers autrefois regardé avec mépris un postulat politique.

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C’est un fait, notre société ne fait plus rêver ses propres enfants. Et ce n’est pas à un mal typiquement français auquel nous avons affaire, mais quelque chose qui affecte l’ensemble des pays occidentaux à des degrés divers.

Lorsque Nike veut vendre des baskets, la marque ne finance pas un documentaire détaillant le fonctionnement de ses usines en Asie, n’organise pas un débat sur l’éthique et le travail des enfants, ou encore n’explique pas que la nourriture spirituelle est tout aussi nécessaire que l’exercice physique. De manière ô combien logique, la marque débauche quelques sportifs de renom ou met en scène un spectacle grandiose diffusé aux heures de grande écoute. En d’autres termes, la marque vend du rêve avant de vendre un produit. Ce que la quasi-totalité des marques ont gardé à l’esprit, nos hommes politiciens et journalistes semblent l’avoir oublié. Mais il est tellement plus facile de se gargariser de la prétendue supériorité du modèle social français, du modèle de santé français, des services publics français, tant de trésors à préserver en regardant de haut ces pays voisins qui se sont laisser démanteler par les méchants capitalistes. La France, capitale de la Résistance mondiale contre le pouvoir destructeur de l’argent !

Avec la chute du Communisme qui est venue sanctionner l’échec quasi-complet de ce type de régime, aucune véritable alternative au mode de fonctionnement dans lequel nous vivons ne se présente plus. Bien loin d’être « la fin de l’Histoire », c’est la porte ouverte à des ailleurs fantasmés, dont l’ignorance, là encore entretenue – sans que ce soit l’expression d’une volonté d’ensemble – par politiciens et médias, est le plus bel engrais.

Cette attitude d’auto-flagellation permanente doublée d’une crise d’autorité, au premier rang duquel se trouve un Jacques Chirac qui avoue à mots à peine couverts ne pas comprendre grand chose à ce pays qu’il est censé gouverner, n’a rien de bon. C’est ainsi qu’on a pu entendre un médiateur, le deuxième jour des émeutes, lire lors du journal télévisé un communiqué dans lequel il « exige (!) le départ immédiat des forces de police de son quartier », accusées d’attiser les violences par la provocation qu’elles représentent.

Il n’est pas question ici d’affirmer que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes : de réels problèmes existent, tout comme est réelle la montée du sentiment d’insécurité depuis une vingtaine d’années, que seule une partie de la gauche persiste à vouloir ignorer, la réduisant à une invention des médias qui seraient à la solde d’une certaine partie de la droite. Mais il s’agit d’avoir des points de repère lorsque l’on décrit et argumente – « repère », ce qui manque tant aux jeunes entend-on ici et là. Et ceci passe en premier lieu par l’éducation et la connaissance.

Il n’est ainsi pas acceptable que certains élèves parmi les plus brillants ne découvrent, ahuris, l’utilité première du système boursier, apparenté pour une large part à « un casino pour personnes aisées », qu’une fois entrés en classes préparatoires aux grandes écoles ! Qu’en est-il alors de l’ensemble de la population à qui l’on assène chaque jour les chiffres du CAC comme une sorte de thermomètre de l’état de santé du pays ? Comment dans ces conditions ne pas ressentir comme une agression ce système qui semble fonctionner de manière autonome et incontrôlée, une création qui aurait échappé à son créateur, l’Homme, une « Horreur économique » broyant tout à la fois Nature et Humanité ?

Notre société a pris l’habitude de donner la parole à tout un chacun sur tout sujet. C’est ainsi qu’il est facile, en allumant son poste de télévision, d’entendre Mr Durand ou Mme Martin tenir des propos de bar-tabac sur telle ou telle question, assaisonnant consciencieusement chaque phrase d’un « plus en plus » ou « moins en moins » bien senti. En soi ce n’est évidemment pas un problème mais bien un fait naturel, concomitant à l’explosion des moyens de communication au sein d’une démocratie. Si problème il y a (et il y a) il est à chercher dans le fait que ces propos, souvent à l’emporte-pièce et n’apportant aucun éclairage, ne sont pas contrebalancés par un travail de fond de personnes maîtrisant un tant soit peu le sujet abordé et ayant du recul par rapport à lui. L’avis de Mr Durand se retrouve alors mis sur le même plan (si ce n’est au-dessus, force du nombre faisant force des mots) que celui d’un historien, d’un économiste ou d’un politique ayant travaillé le sujet en profondeur. L’idée de confronter le Président avec des citoyens lambda au sujet de la Constitution européenne n’est pas forcément mauvaise, à condition d’être à la hauteur de l’épreuve, ie être capable d’apporter des réponses claires et concises à des questions qui demanderaient idéalement chacune une émission dédiée. Dans le cas contraire c’est terriblement contre-productif.

De cette façon est favorisée la simplification à outrance de problématiques souvent complexes. Partant du principe que l’on n’a peur que de ce que l’on ne comprend pas, il est grand temps, non pas de pratiquer l’auto-critique mortifère que réclament certains chantres de la gauche française (la France aurait tant à se faire pardonner et devrait payer aujourd’hui pour ses crimes passés, présents… et à venir), mais bien d’introduire au lycée de véritables cours sur le fonctionnement d’un système capitaliste, ce qu’est une économie de marché, comment fonctionne une entreprise, une République, les bases du Contrat social, bref, le socle du Monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Et ne plus laisser dire à tout bout de champs que « c’est de pire en pire » ou que « cette situation est intolérable ».

Il faudra également pour ce faire que certains homme politiques aient le courage de prendre des risques. On pourra gloser pendant longtemps sur l’emploi de termes tels que « karcher » ou « racaille » par le ministre de l’Intérieur – en oubliant au passage qu’un Malek Boutih peut se permettre d’employer ces mots sans provoquer une levée de boucliers ou une éruption de parkings. On pourra feindre de croire que le ministre stigmatisait ainsi l’ensemble des populations de banlieue. On pourra même se vautrer dans la facilité et éviter toute réflexion en imputant la généralisation des émeutes à ces quelques mots. Toujours est-il que ces choix, sans doute malheureux, de Nicolas Sarkosy, sont symptomatiques de l’impossibilité d’aborder certains sujets mis à l’index par les tenants de la bonne-pensée. Qu’il est révélateur en effet de constater que seules certaines associations du type de SOS Racisme osent adopter un discours ferme sur ce type de sujets et affirmer leur fierté d’être Français… et parfois leur honte de voir ce pays – et en premier lieu ses élus – qu’ils aiment abandonner sans lutter certains de ses principes fondateurs.
Bien plus que d’égalité, notre société a besoin d’une relégitimisation de ses élites. Ainsi que d’un retour à la Raison, ceci afin de contrebalancer le poids toujours croissant de l’affectif, naturellement favorisé par l’évolution des modes de communication. Il semble que les grands noms de la presse écrite ont enfin compris qu’il est vain de vouloir lutter sur le terrain de la rapidité et cherchent leur salut dans le travail de fond. Espérons que ce soit un début.

Non, la mort des médias traditionnels n’est pas une fatalité.

Non, la mort de la presse n’est pas écrite, comme l’affiche si joliment le syndicat CGT, qui nous a pourtant rarement habitué à la subtilité dans l’usage de la formule, tout à côté des locaux du Monde dans le treizième arrondissement de Paris.

Sa mutation, elle, l’est.

Pour le meilleur et pour le pire.

C’est là tout le rôle des acteurs de cette immense théâtre. Et particulièrement de leur dirigeant. Ces capitaines de vaisseaux vacillants ont laissé partir, pour diverses raisons, bon nombre de leurs meilleurs éléments. Ainsi nous avons vu la création de Rue 89 par des anciens de Libération (que je ne classerais certes pas parmi la crème de la crème de la presse écrite, exception faite de la rubrique Culture) ou encore de Mediapart… qui aurait pu (aurait dû ?) être une évolution, par exemple, du site internet du Monde.

Ils disposent pourtant encore, dans leurs manches, d’atouts certains : notoriété, qualité de plume, culture vaste et intelligence éclairée chez la grande majorité de leurs troupes.

A eux de tourner la barre avant de heurter l’iceberg qui occupe déjà tout leur champ de vision et qui semble les attirer tel le moustique par les lueurs blafardes et l’odeur sucrée du sang humain.

(visuel illustrant un papier de l’atelier des médias, de RFI, intitulé “les médias généralistes sont-ils menacés par internet ?”… écrit en novembre 2007, quelques jours avant mon propre billet retranscrit plus haut. Hé oui, le point d’interrogation venait encore conclure de telles phrases en ces temps immémoriaux 😉 )

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