Bonheur chimique, bonheur toxique

bonheur chimique

Je vous invite expressément à vous procurer le supplément du Courrier International n°874-875-876 du 2 au 22 août 2007 consacré au bonheur.

Il est intitulé Alors, heureux ? Pourquoi nous sommes obsédés par le bonheur et regorge d’infos passionnantes.

Voici un excellent papier que l’on peut y trouver :

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Johann Hari, grand chroniqueur du quotidien The Independent, a passé dix ans sous antidépresseurs, avant de comprendre que le malheur pouvait avoir du bon.
J’ai commencé à prendre du Deroxat à l’âge de 17 ans. Les premières années, je sortais mes griffes dès qu’on osait critiquer mes chers antidépresseurs. J’avais pris l’habitude de citer l’écrivain Andrew Solomon, qui, dans le Diable Intérieur [Albin Michel, 2002], compare son rapport aux antidépresseurs au besoin d’insuline qu’a le diabétique. La dépression, expliquait-il, est causée par un dysfonctionnement des neurotransmetteurs. C’est donc un problème mécanique du cerveau, et les ISRS [inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine], classe d’antidépresseurs mise au point dans les années 1980, sont les mécaniciens qu’on envoie pour réparer tout ça.Mais, il y a quelques années, des doutes ont commencé à ébranler mon bel optimisme prométhéen. Jamais je n’ai regretté d’avoir pris ces médicaments pour me sortir de la dépression. J’avais l’intuition qu’ils avaient des inconvénients, mais sans pouvoir véritablement dire lesquels, jusqu’à ce que je lise l’ouvrage du Dr Ronald W. Dworkin, Artificial Happiness : The Dark Side oh the New Happy Class [Le bonheur artificiel : la face cachée de la nouvelle classe des heureux].

Selon l’auteur, les antidépresseurs créent en peu de temps un état de bonheur artificiel dans lequel la vie et le mental se désynchronisent. Puisqu’on se sent assez bien quoiqu’il arrive, les signaux habituels qu’on reçoit du monde (j’aime, j’aime pas) s’émoussent. Dworkin dit que l’on a parfois besoin d’une certaine dose de mal-être pour se sortir d’une mauvaise passe. Les individus heureux artificiellement perdent cette capacité à réagir et à changer.

J’ai reconnu dans cette description nombre de mes amis sous antidépresseurs. Et j’ai fini par admettre qu’elle s’appliquait aussi à moi.

Pour Ronald W. Dorkin, ces médicaments sont des outils utiles lorsqu’il s’agir de sortir des patients d’une dépression chronique, et j’imagine qu’il aurait approuvé leur première prescription dans mon cas. Mais, une fois ma dépression surmontée, j’ai continué à en prendre. Toutes sortes de choses me sont arrivées qui m’auraient rendu malheureux et m’auraient forcé à changer si je n’avais pas été sous anti-dépresseurs : une relation amoureuse néfaste, de gros problèmes d’argent, des excès alimentaires. Toutes ces choses ont duré bien plus longtemps que nécessaire parce qu’elles ne provoquaient chez moi aucun véritable mal-être – rien ne provoquait chez moi de véritable mal-être.

Ce qui ne m’empêche pas de penser que Dworkin va trop loin. Dans certains passages, il présente les individus sous antidépresseurs comme des quasi-extraterrestres, déconnectés du monde, dépourvus de conscience, « incapables d’empathie », comme des gens qui « ignorent la gentillesse ».

Reste que son livre (et ma belle histoire de dix ans avec le Deroxat) m’a appris que, si la dépression est une maladie, le mal-être ne l’est pas. Loin s’en faut : c’est un état indispensable, un signal dont nous avons tous besoin de temps en temps pour nous montrer que quelque chose ne vas pas dans nos vies. Ne vous méprenez pas : je ne suis pas de ces calvinistes (ou sadiques) qui voient dans le malheur une expérience moralement enrichissante. Je ne suis pas même un stoïcien pour qui il faut endurer religieusement le malheur. Je suis persuadé que la quête du plus grand bonheur est et doit être l’objectif premier de l’éthique humaine.

Mais nous ne pouvons mettre le cap sur le vrai bonheur qu’à condition de savoir quand nous en dévions – or à vivre sa vie d’adulte sous antidépresseurs, on détraque sa boussole. C’est pourquoi j’ai décidé de dire adieu aux antidépresseurs.

Jonann Hari, The Independent (extrait), Londres

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Attention tout de même :
– lisez bien l’article en entier ! Il n’est aucunement question de diaboliser les antidépresseurs, mais bien plutôt de savoir à quel moment il convient de ralentir, puis d’arrêter leur prise.
– un rappel qui peut être utile : ne pas décider d’arrêter ses antidépresseurs sans avis médical. C’est courir à la catastrophe !

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