Les voix intérieures sont impénétrables

voix intérieures

– Les Jeux ont été créés pour les Occidentaux, pas pour les immigrés, intervint Wang. Ils contrôlent chaque… »

Il s’interrompit, traversé par l’étrange sensation qu’une voix s’élevait à l’intérieur de lui. Un imperceptible chuchotement, qui ressemblait à une pensée étrangère. Il crut d’abord qu’il était victime d’une illusion mentale, d’un accès de fatigue, ou qu’il souffrait d’un trouble sensoriel. Il secoua la tête pour reprendre empire sur lui-même. Cette impression de dédoublement avait peut-être un rapport avec le voyant frontal, avec l’appareil qu’on lui avait greffé dans le cerveau.

Kamtay lui jeta un regard interrogateur.

« Tu ne te sens pas bien ? »

Wang s’assit sur un rocher et lui fit signe qu’il avait besoin d’un peu de temps pour se ressaisir. Il ne parvenait pas à faire cesser le murmure qui résonnait en continu à l’intérieur de son crâne. C’était comme si un démon farceur des légendes chinoises de grand-maman Li avait pris possession de son âme. Il était peut-être en train de perdre définitivement la raison.

[…] Il avait beau tenter d’oublier cette pensée étrangère, de la chasser hors de son crâne comme un insecte parasite, elle s’imposait peu à peu avec la force de l’évidence.

[…] Le Laotien et l’Iranien commençaient à douter de la santé mentale de leur jeune compagnon dont les traits hâves, les yeux exorbités, la bouche crispée semblaient être les signes avant-coureurs d’un accès de démence.

Wang résista encore pendant quelques minutes aux conseils de cette voix surgie de nulle par puis, dans l’espoir qu’elle s’interromprait lorsqu’il aurait obtempéré, il se releva, retira son casque, dégaina son glaive, incisa son sagum, préleva deux bandes de tissu qu’il entoura l’une sur l’autre autour de sa tête et qu’il noua sur son occiput.

« Ca va comme ça ? », hurla-t-il avec une telle force que les chevaux, inquiets, suspendirent leur broutement.

Timûr et Kamtay se levèrent à leur tour et s’approchèrent de leur compagnon avec circonspection. Ses gestes saccadés, son turban sommaire, cet accès de colère, cette manière de s’adresser aux arbres comme à des êtres humains, tout dénotait en lui la folie, jusqu’aux cheveux dressés sur sa tête et aux filets de salive qui s’écoulaient des commissures de ses lèvres.

Le chuchotement s’estompa et Wang se sentit en accord avec son mystérieux correspondant, en accord avec grand-maman Li, en accord avec les ancêtres, en accords avec l’âme de Zhao, en accord avec lui-même.

Pierre Bordage, Wang, 1 – Les portes d’Occident

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