Un jour sans fin

un jour sans fin

Et si cela n’arrêtait plus jamais ? Et si ce sifflement qui filtrait tout, qui posait sur les sons une espèce de note stridente conférant aux choses une présence acidulée, perçante, restait collé au fond de sol oreille, sans espoir de rémission, tamis sonore tendu à tout jamais entre le monde et lui ?

Il posa la main sur son coeur. Des palpitations, comme s’il avait bu un double espresso avant de se coucher. Il essaya de contrôler sa respiration, de se calmer. Comment pouvait-il trouver le calme quand la chambre était remplie de ce bruit infernal qui ne provenait pas de l’extérieur – il aurait été si facile de se lever pour aller fermer la fenêtre ou resserrer le robinet ou crier au chien du voisin de se la fermer – mais qu’il portait en lui comme une maladie ? Incurable ? Il avait vérifié le mot acouphène dans Le Larousse. On ne parlait pas de maladie. On ne disait pas non plus que c’était éphémère ou intermittent. Ni que c’était permanent. Si c’était passager, il avait peur de devenir fou avant que ça passe, si c’était permanent… Il se tourna que le côté droit en geignant comme un enfant. Il essaya d’imaginer le reste de ses jours, la vie quotidienne, chacune des secondes de sa vie quotidienne avec ce sifflement au fond de la tête.

Surtout, ne pas paniquer. Ne pas se laisser aller à la peur irraisonnable qui fait perdre le contrôle – même aux control freaks comme lui – et parfois faire des gestes qu’on regrette par la suite… Il se souvint d’avoir lu quelque part que Van Gogh se serait peut-être coupé l’oreille à cause d’un acouphène, justement, et il se vit en train d’essayer de retrancher de sa tête ce son abominable. La douleur que ça avait dû être ! Le désespoir, aussi, d’un homme qui en est rendu là !

Il se leva, fit couler un bain d’eau froide. Il était quatre heures moins vingt.

La fatigue le prit alors qu’il se glissait dans la baignoire. Il s’endormit presque immédiatement et rêva que le monde était une énorme boîte de carton remplie de petites boules de coton qu’il se fourrait dans l’oreille gauche pour ne plus rien entendre. Des tonnes et des tonnes de boules d’ouate qui jamais ne réussiraient à remplir le trou sonore qui creusait son crâne.

Il se réveilla en frissonnant. Pas de froid, l’eau avait tiédi dans la chaleur ambiante. Il eut de la peine à se sécher tant il grelottait. Ses dents claquaient, une vilaine chair de poule lui parcourait la peau et il se disait que jamais, au grand jamais, il n’aurait le courage de se rendre à son rendez-vous chez le docteur.

En sortant de la salle de bains, il se rendit compte que le jour avait eu le temps de se lever et qu’il était presque l’heure d’aller travailler. […] Il craignait de ne pas avoir la patience d’endurer les caprices de sa star féminine ni l’arrogance de sa star masculine. […] Mais c’est lui qui les avait voulus, il avait cru pouvoir les dompter, les dresser, les mettre à sa main, alors que c’est eux qui étaient en train de l’avoir.

Eux et…

Il se coupa une fois de plus en se rasant.

Michel Tremblay, L’homme qui entendait siffler une bouilloire

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